Перевод письма
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<Конец 1838 г.>
Il y a longtemps, chère et bonne amie, que je ne vous ai
écrit et que vous ne m'avez donné de nouvelles de votre chère
personne et de tous les vôtres; aussi j'ai l'espérance que votre
réponse à cette lettre ne se fera pas longtemps attendre: il
y a de la fatuité dans cette phrase, direz-vous; mais vous vous
tromperez. Je sais que vous êtes persuadée que vos lettres me
font un grand plaisir puisque vous employez le silence comme
punition; mais je ne mérite pas cette punition car j'ai constamment
pensé à vous, preuve: j'ai demandé un semestre d'un an, —
refusé, de 28 jours — refusé, de 14 jours — le grand duc a refusé
de même; tout ce temps j'ai été dans l'espérance de vous
voir; je ferai encore une tentative — dieu veuille qu'elle réussisse. — Il faut vous dire que je suis le plus malheureux des hommes,
et vous me croirez quand vous saurez que je vais chaque
jour au bal: je suis lancé dans le grand-monde: pendant un
mois j'ai été à la mode, on se m'arrachait. C'est franc au
moins. — Tout ce monde1 que j'ai injurié dans mes vers se plait
à m'entourer de flatteries; les plus jolies femmes me demandent
des vers et s'en vantent comme d'un triomphe. — Néanmoins
je m'ennuie. — J'ai demandé d'aller au Caucase — refusé. — On
ne veut pas même me laisser tuer. Peut-être, chère amie, ces
plaintes ne vous paraîtront-elles pas de bonne foi? — peutêtre
vous paraîtra-t-il étrange qu'on cherche les plaisirs
pour s'ennuyer, qu'on court les salons quand on n'y trouve rien
d'intéressant? — eh bien je vous dirai mon motif: vous savez
que mon plus grand défaut c'est la vanité et l'amour-propre:
il fut un temps où j'ai cherché à être admis dans cette société
comme novice, je n'y suis pas parvenu; les portes aristocratiques
se sont fermées pour moi: et maintenant j'entre dans cette même
société non plus en solliciteur, mais en homme qui a conquis
ses droits; j'excite la curiosité; on me recherche, on m'engage
partout, sans que je fasse mine de le désirer même; les femmes
qui tiennent à avoir un salon remarquable veulent m'avoir, car
je suis aussi un lion, oui, moi — votre Michel, bon garçon,
auquel vous n'avez jamais cru une crinière. — Convenez que tout
cela peut énivrer. Heureusement ma paresse naturelle prend le
dessus; et peu à peu je commence à trouver tout cela par trop
insupportable: mais cette nouvelle expérience m'a fait du bien,
en ce qu'elle m'a donné des armes contre cette société, et si
jamais elle me poursuit de ses calomnies (ce qui arrivera) j'aurai
du moins les moyens de me venger; car certainement nulle part
il n'y a tant de bassesses et de ridicules. Je suis persuadé que
vous ne direz à personne mes vanteries, car on me trouverait
encore plus ridicule que qui que cela soit, et puis avec vous
je parle comme avec ma conscience, et puis c'est si doux1 de
rire sous-cape des choses briguées2 et enviées par les sots,
avec quelqu'un, on le sait, est toujours prêt à partager vos
sentiments; c'est vous que je parle, chère amie, je vous le répète,
car ce passage est tant soit peu obscur.
Mais vous m'écrirez n'est ce pas? — je suis sûr que vous
ne m'avez pas écrit pour quelque raison grave? — êtes-vous
malade? y a-t-il quelqu'un de malade dans la famille? je le
crains. On m'a dit quelque chose de semblable. Dans la semaine1
prochaine j'attend votre réponse, qui j'espère sera non moins
longue que ma lettre, et certainement mieux écrite, car je crains
bien que vous ne sachiez déchiffrer ce barbouillage.
Adieu, chère amie, peut-être si dieu veut me récompenser
je parviendrai à avoir un semestre, et alors je serai toujours sûr
d'une réponse telle-quelle.
Saluez de ma part tous ceux qui ne m'ont pas oublié. —
Tout à vous
M. Lermontoff.
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