Fedorov, 18 août <1835 г.>
Mon cher cousin.
C'est après avoir lu pour la troisième fois votre lettre, et
après m'être bien assurée, que je ne suis pas sous l'influence
d'un rêve, que je prends la plume pour vous écrire. Ce n'est
pas que j'aie peine à vous croire capable d'une grande et belle
action, mais écrire trois fois, sans avoir au moins trois réponses — savez-vous, que c'est un prodige de générosité, un trait
sublime, un trait à faire pâlir d'émotion? — Mon cher Michel,
je ne suis plus inquiètte de votre avenir — un jour vous serez
un grand homme.
Je voulais m'armer de toutes mes forces, désir et volonté,
pour me fâcher sérieusement contre vous. Je ne voulais plus
vous écrire, et vous prouver par là, que mes lettres peuvent se
passer de cadre et de verre, pourvu qu'on trouve du plaisir à
les recevoir. — Mais trêve là-dessus; vous êtes repentant — je
jette bas mes armes et consens à tout oublier.
Vous êtes officier, recevez mes compliments. C'est une joie
pour moi d'autant plus grande, qu'elle était inattendue. Car
(je vous le dis à vous seul) je m'attendais plus tôt à vous savoir
soldat. Vous conviendrez vous-même que j'avais raison
de craindre et si même vous êtes deux fois plus raisonnable
que vous ne l'étiez avant, vous n'êtes pas encore sorti du rang
des polissons... Mais c'est toujours un pas, et vous ne marcherez
pas à reculon, je l'espère.
Je m'imagine la joie de grand'maman; je n'ai pas besoin de
vous dire que je la partage de tout mon cœur. Je ne compare
pas mon amitié à un puits sans fond, vous ne m'en croirez que
mieux. Je ne suis pas forte en comparaisons, et n'aime pas à
tourner les choses sacrées en ridicule, je laisse cela à d'autres.
Quand viendrez-vous à Moscou?
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Quant au nombre de mes adorateurs, je vous le laisse à deviner,
et comme vos suppositions sont toujours impertinentes,
je vous entends dire, que je n'en ai pas du tout ..............
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A propos de votre idéal. Vous ne me dites rien de vos
compositions. J'espère que vous écrivez toujours, je pense que
vous écrivez bien; avant vous m'en faisiez part sans doute vous
avez des amis qui les lisent et qui savent en juger mieux, mais
je vous garantis d'en trouver qui les liront avec plus de plaisir.
Je m'attends qu'après cette sérieuse exorde, vous me composerez
un quatrain pour ma nouvelle année.
Pour votre dessin, on dit que vous faites des progrès étonnants,
et je le crois bien. De grâce, Michel, n'abandonnez pas
ce talent, le tableau que vous avez envoyé à Alexis est charmant.
Et votre musique? Jouez-vous toujours l'ouverture de la
Muette de Portici, chantez-vous le duo de Sémiramis de fameuse
mémoire, le chantez-vous comme avant, à tue-tête, et à perdre
la respiration?.........................................
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.......... Nous déménageons pour le 15 septembre, vous
m'adresserez vos lettres dans la maison Guédéonoff, près du
jardin du Kremlin. — De grâce écrivez-moi plus vite, maintenant
vous avez plus de temps, si vous ne l'employez pas à vous regarder
dans une glace; ne le faites pas, car votre uniforme
d'officier finira par vous ennuyer, comme tout ce que vous
voyez trop souvent, c'est dans votre caractère.
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Si je n'avais pas envie de dormir, je vous aurais parlé de
tout cela — mais impossible. Mes respects, je vous prie, à grand'
maman. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Alexandrine W.
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